"Dieu et Freud doivent avoir énormément de choses à se dire puisqu'ils ne sont d'accord sur rien...".
Vienne 1938 : les nazis ont envahi l’Autriche et persécutent les juifs.
Par optimisme, Sigmund Freud ne veut pas encore partir ; mais en ce soir d’avril, la Gestapo emmène Anna, sa fille, pour l’interroger. Freud, désespéré, reçoit alors une étrange visite.
Un homme en frac, dandy léger, cynique, entre par la fenêtre et tient d’incroyables discours...
Qui est-il ? Un fou ? Un magicien ? Un rêve de Freud ? Une projection de son inconscient ?
Ou bien est-il vraiment celui qu’il prétend être : Dieu lui-même ?
Comme Freud, chacun décidera, en cette nuit folle et grave, qui est le visiteur... ?
(Crédit photos : Fabienne RAPPENEAU)
NOTE DE L'AUTEUR
(Photo : Pascal Ito)
COMMENT CROIRE EN DIEU AUJOURD’HUI ? Comment croire encore en Dieu dans un monde où l’horreur le dispute à l’abominable, où la bombe extermine, où sévit comme jamais la discrimination raciale, où l’on invente des camps de rééducation ou d’extermination ? Bref, comment croire en Dieu si méthodiquement meurtrier ? Comment croire en Dieu face au mal ? Ce problème porte un nom en philosophie : la théodicée (le procès de Dieu). Nous le faisons tous les jours, devant un enfant qui souffre, devant un grand amour qui nous est enlevé par une maladie, devant le fanatisme de ceux qui tuent au nom de leur Dieu, devant notre écran de télévision qui nous apporte les cris et les souffrances du monde.
Un soir, je me mis à sangloter en écoutant le journal télévisé : les nouvelles n’étaient pas pires que celles d’un autre jour, c’était la soupe ordinaire du crime et de l’injustice mais ce soir-là, je ne me contentai pas de comprendre et d’enregistrer les informations, je les sentais. Dans ma chair je saignais à l’unisson du monde ; les violences résonnaient en moi comme un tympan. J’étais déprimé d’être un homme. Je me dis : «Comme Dieu doit être découragé en regardant le journal de 20 heures !». J’avais même de la compassion pour ce Dieu dont l’existence m’est incertaine. Je songeai encore : «Si Dieu a une dépression que peut-il faire ? Quel recours ? Qui peut-il aller voir ?». Immédiatement l’image fondit sur moi : Dieu sur le divan de Freud. Puis la contre-image : Freud sur le divan de Dieu. L’excitation intellectuelle sécha rapidement mes larmes, je me mis à jubiler. Dieu et Freud doivent avoir énormément de choses à se dire puisqu’ils ne sont d’accord sur rien...Et ce dialogue n’est pas facile puisqu’aucun des deux ne croit en l’autre...
MAIS QUI EST LE VISITEUR ? Dieu ou un fou ? Un songe de Freud ? La pièce n’est- elle que la méditation intérieure d’un vieil homme ? Chacun le décidera avec sa liberté. Ma réponse n’a pas plus de valeur que celle d’un autre. On la détectera néanmoins dans le texte si l’on est très attentif. La pièce prépare le terrain de la croyance et s’arrête au seuil. Franchir ce seuil relève de la foi, donc de la liberté. Et cela n’est donc pas partageable.
Éric-Emmanuel SCHMITT
NOTE DE MISE EN SCENE
UNE NUIT ÉNIGMATIQUE. La pièce se déroule en une nuit, dans le bureau de Freud. Rideaux, fenêtres, bibliothèques, divan, vont constituer cet espace conçu comme le cabinet de curiosités de l’éminent psychanalyste. Les apparitions, et disparitions, du visiteur, l’opacité, la transparence des rideaux et des panneaux, créeront un subtil jeu de mystère et renforceront cette présence énigmatique. Sommes-nous dans un rêve de Freud ? Dans un dialogue avec lui-même, avec son propre inconscient ? Ou bien sommes-nous dans une hallucination passagère ? Cette nuit recèle un parfum d’invraisemblable et de magie. Il s’agit donc de créer une atmosphère onirique. La magie nouvelle nous permettra de créer des instants suspendus, merveilleux. Le son, la lumière, accompagneront et participeront à créer cette atmosphère mystérieuse.
La tension, le suspens de la pièce, doit être palpable et tenir en haleine le public. L’atmosphère proche du « thriller psychologique » s’inspire du cinéma dans son traitement, et est tenue par les rebondissements que la présence du nazi, et son chantage, induisent. Le dialogue, la joute entre le visiteur et Freud, nous plonge dans une lutte symbolique, une plaidoirie magnifique, un débat éthique, entre deux visions du monde qui s’opposent.
Le Visiteur est une pièce qui m’a fortement marquée, lorsque je l’ai vue adolescente. C’est un des textes qui m’a donnée envie de faire du théâtre et c’est un honneur pour moi de le mettre en scène aujourd’hui.
Johanna BOYÉ
100ème représentation, dimanche 9 janvier 2022
De gauche à droite : Maxime DE TOLEDO, Sam KARMANN, Franck DESMEDT, Johanna BOYÉ - à la mise en scène - et Katia GHANTY.
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